Christine Henry – Artiste

Aux portes du Palais

2007

Le titre de ce carré s’explique par la construction du dessin. L’Inde, dans l’imaginaire traditionnel, évoque, entre autres, l’image des fastueux Palais des Marajah. Le Palais reflète la magnificence, le trésor et le secret. Sa construction est soumise aux lois de l’orientation que l’inscrivent dans un ordre cosmique. Les Portes symbolisent le lieu de passage entre deux mondes, entre le connu et l’inconnu. La porte ouvre sur un mystère. Elle indique le passage et invite à le franchir. C’est l’invitation au voyage vers un pays inconnu…

Au centre des portes, il y a deux arbres porteurs de fleurs et de fruits. Ce sont des arbres de vie qui symbolisent l’Arbre de la Boddhi sous lequel Bouddha atteignit l’illumination. Il représente dans l’iconographie primitive le Bouddha lui-même. Car ses racines sont Brahmâ, son tronc Çiva et ses branches Vishnu.

En orient, comme en occident, l’arbre de vie est souvent renversé. Ce renversement, selon les textes védiques, proviendrait d’une certaine conception du rôle du soleil et de la lumière dans la croissance des êtres : c’est d’en haut qu’ils puisent la vie, c’est en bas qu’ils s’efforcent de la faire pénétrer. De là, ce renversement des images : la ramure joue le rôle des racines, les racines celui des branches. Le symbolisme hindou de l’arbre renversé, qui s’exprime notamment dans la Bhagavad-Gitâ signifie que les racines sont le principe de la manifestation et les branches la manifestation qui s’épanouit.

Les arbres à fruits sont symboles de fécondité. Dans la coutume dravidienne (ensemble de populations du sud du sous-continent indien), il existe un mariage mystique entre les arbres et les humains, pour renforcer la capacité de procréation de la femme. Les fiancées sont obligatoirement mariées à un arbre fruitier. En Inde du sud, on marie deux arbres entre eux pour favoriser la fécondité d’un couple.

Les deux arbres sont entourés chacun d’une femme et d’un homme. Ils font en premier lieu référence aux forces vives et régénératrices de la nature, les  » shâlabhanjikâ  » qui faisaient fleurir par leur simple présence l’arbre auprès duquel elles se tenaient. Ces quatre personnages dansent, la danse indienne étant avant tout un langage. Par la complexité des gestes et des mimiques, les danseurs racontent aussi bien l’histoire mythologique hindoue avec les épopées de leurs dieux que des récits de la vie quotidienne. Sur l’épaule d’une des femmes, un oiseau est posé. Référence à une légende hindoue où les jeunes femmes amoureuses confiaient le secret de leurs amours à un oiseau.

Un des personnages masculin joue de la flûte, c’est Krichna Gopala, le divin berger. Devant chaque arbre, il y a un paon. Cet animal est présent dans toute l’Inde et il est le symbole du trône du Bouddha. Il est apparenté au soleil, ce qui correspond au déploiement de sa queue en forme de roue. Les deux arbres plongent leurs racines dans un cours d’eau où flottent des lotus. Bouddha est symbolisé par le lotus. Les grands livres de l’Inde font du lotus, issu de l’obscurité et qui s’épanouit en pleine lumière, le symbole de l’épanouissement spirituel. Le lotus traditionnel a huit pétales comme l’espace a huit directions, il symbolise donc l’harmonie cosmique. Chaque pilier de l’architecture est personnalisé par trois avatars de Vishnu et par le dieu Hanuman car les hindous mélangent dans leur mythologie les attributs humain/animal ou confèrent des pouvoirs humains et même sacrés aux animaux.

Les trois avatars de Vishnu :

1) Le poisson (Mataya) : ce poisson alerte le roi Manu Vaivasvata de l’imminence d’un déluge et lui conseille de sauvegarder un couple de chaque espèce animale sur un bateau. Une fois le déluge passé, il guide le bateau du Roi sur les Montagnes du Nord pour y attendre que les eaux se retirent. Symbole des eaux, il est associé à la naissance ou à la restauration cyclique. C’est lui aussi qui remet au Roi Manu les Védas, c’est-à-dire qu’il lui révèle l’ensemble de la science sacrée.

2) Le sanglier (Varâta) : selon la légende, la terre gît prisonnière au fond des océans. Transformé en sanglier Vishnu accroche la terre avec ses défenses et la soutint, hors de l’eau, au bout de ceux-ci.

3) La tortue (Kûrma) : elle représente en Inde un support du trône divin. Elle est associée aux eaux primordiales. Elle soutient la terre, qui, flottant sur l’océan, risquerait de tomber.

Le Dieu Hanuman : il est maître de l’astuce, de l’agilité physique. C’est le dieu des athlètes et des gymnastes. Protecteur, il détruit les rayons de la mort émis par les planètes. Il a un rôle bienveillant et sauveur dans bien des situations épiques de la mythologie hindoue.

Aux quatre coins du carré, l’éléphant, le cheval, la vache et le tigre grimpent sur des escaliers. Ces quatre animaux sont emblématiques de l’Inde. Leur présence et leur vénération ont fait qu’ils sont présents aussi bien dans les traditions indiennes que de nos jours, dans les évènements contemporains et qu’ils ont évidemment leurs places dans le panthéon indien.

L’éléphant : monture des Rois et d’abord d’Indra, le Roi Céleste, divinité de l’orage et de la pluie. Il représente l’effet du pouvoir royal établi et amène paix et prospérité. La puissance de l’éléphant « mâtangui » donne à ceux qui l’invoquent tout ce qu’ils peuvent désirer. Le monde serait soutenu par de grands éléphants sacrés. Ganesh, dans le panthéon indien, symbolise la connaissance. De nos jours se pratique encore la tradition de peindre sur les éléphants des motifs décoratifs à l’occasion de grandes fêtes. Le cheval : présent dans la mythologie indienne sous le nom « asha » qui signifie littéralement le « pénétrant », sa pénétration étant celle de la lumière.

Le cheval symbolise la puissance de sa grâce, diffusée aux quatre orients. C’est aussi un symbole de sagacité et de beauté formelle. Il s’avère que Ratnasambhava, Bouddha du Sud de l’Inde et symbole solaire, est assis sur un trône fait de chevaux. La vache : Sourabhî, la vache merveilleuse, mère et nourricière de tout ce qui vit. Dans les Védas, il y a des versets d’un hymne consacré à la Vache Cosmique.

La vache est encore aujourd’hui pour des millions d’hindous la concrétisation même de l’idée de non-violence, sacrifice et purification. « C’est la Vache qui fait vivre les Dieux, La Vache qui fait vivre les hommes. La Vache, c’est tout ce qui est, tout ce qui contemple le Soleil. »

Le tigre : l’Inde héberge à elle seule la moitié des tigres répertoriés dans le monde. Dans l’iconographie hindoue, le tigre est la monture de Shakti, de l’énergie de la nature à laquelle Çiva n’est pas soumis mais au contraire qu’il domine. Il est aussi vénéré comme le « Tigre-Ancêtre » mythique qui est nommé « l’Initiant ». C’est celui qui conduit les néophytes dans la jungle pour les initier, en réalité pour les tuer et les ressusciter.

Les deux roues de char sont un élément essentiel dans la figuration du soleil, de la lune, des planètes. Il s’agit d’évoquer le « voyage » des astres, leur mouvement cyclique. La roue est un symbole très important dans l’iconographie indienne.

A chaque angle du carré sont représentés des dessins rituels qui décorent et protègent les maisons depuis des millénaires en Inde. Ils sont réalisés par les femmes qui les dessinent à la chaux sur les murs et dans les cours des maisons. Ils sont signes de richesse et doivent apporter bonheur et prospérité aux occupants.

La frise qui entoure le carré est un hommage à la finesse de l’art indien qui peut aussi bien s’exprimer dans leurs tissus que dans la décoration de leurs temples.

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